Le Jardinier des Ames

 

Ce matin, en farfouillant dans mes affaires, m’est revenu un conte écrit il y a plusieurs années… Un conte à propos de mon grand-père, de mes aieux …. le plaisir de conter, le pouvoir du conte…

Grand-père, de son vivant, était un merveilleux jardinier, patient, vivant au rythme de la nature. Mais, dans son vrai métier, il était ouvrier dans le textile…

Et que faisait-il ?

Il tricotait des pulls pour les gens, pour des grands, des gros, des petits, des fins, filiformes, filandreux, philanthropes. Des pulls aux couleurs chatoyantes, embarrassantes, neutres ou bien choisies, des pulls avec ou sans trous, des pulls à même la peau ou trop larges, des pulls aux formes étranges, toutes sortes de pulls.

 

conte

Une perle dans un océan de laine.

Quand le week-end arrivait, il arrêtait de serrer les fils des pelotes de laine, il partait au petit matin de chaque samedi et dimanche, au petit jardin attribué généreusement par la municipalité. Il partait avec tout un tas d’outils, bêche, pioche, râteau. Il embrassait tendrement Grand-mère et filait après avoir passé la main dans mes cheveux. Il prenait un pas vigoureux jusqu’au jardin. Une fois dedans, il respirait doucement, doucement, doucement puis fermait les yeux, fort, fort, fort….et devant lui s’offrait le voluptueux désert avec ses dunes. Alors, il prenait un bâton qu’il laissait toujours au jardin et allait droit devant lui longtemps, longtemps, longtemps. Il arrivait enfin à une oasis : une petite rivière, sortie d’on ne sait où, rejoignait en serpentant un lac bleu azur. De part et d’autre, des champs verdoyants et cultivés, des palmiers, des fleurs.

Il se dirigeait alors vers le même endroit, un champ de choux. Des choux à perte de vue…mais en s’approchant, on pouvait voir autre chose. Des formes ovales, petites, posées à même la terre qui semblaient respirer. Elles changeaient sans cesse de couleurs, couleurs pastels, claires, sombres également. Elles étaient toutes entourées d’un fin brouillard. On pouvait aussi y sentir la vie.

Grand-père appelait cela son jardin de l’âme, une terre immense, allant à perte de vue. Il les arrosait avec douceur et parcimonie : elles restaient humides. Il passait un râteau entre les âmes avec précaution pour tasser la terre. Surtout ne pas déranger l’âme. Parfois, une âme devenait grise : un homme s’était éteint. Il la remplaçait par une nouvelle, une qui venait de naître. Il veillait sur toutes les âmes, leur parlait, les écoutaient, les consolaient et leur rendaient l’âme plus légère.

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Grand-père appelait cela son jardin de l’âme, une terre immense, allant à perte de vue. Il les arrosait avec douceur et parcimonie : elles restaient humides. Il passait un râteau entre les âmes avec précaution pour tasser la terre. Surtout ne pas déranger l’âme. Parfois, une âme devenait grise : un homme s’était éteint. Il la remplaçait par une nouvelle, une qui venait de naître. Il veillait sur toutes les âmes, leur parlait, les écoutaient, les consolaient et leur rendaient l’âme plus légère.

Nous l’attendions tous avec impatience, pour la veillée du soir. Tous impatients de connaître ses histoires, l’histoire des âmes. Grand-père entrait, voisins, amis et famille étaient rassemblés, silencieux et heureux. Après le repas, il s’asseyait et racontait ce que les âmes lui disaient. Nous étions tous captivés, suspendus à chaque mot, chaque syllabe qui sortaient. Ils nous remplissaient le cœur des émotions de la vie, il donnait à nos âmes ce que tantôt elles lui avaient donné.

Avec les années, il est devenu un très bon conteur.

Avec les années, il est devenu un très vieux conteur et quand il nous a quitté, nous avons fait graver sur sa tombe :

« Plus vous direz, plus vous mentirez, vous ne serez jamais payé pour un conte de vérité ».